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L'âge d'or des langues locales

 Da ñoo bòk làkk wi, moo tax ku ne ci ñun am sañsañu wax ci                             

 

Nous vivons l'âge d'or des langues locales, ce qui est très positif. Le gouvernement indique un intérêt et une volonté d'impulsion. Cette volonté-ci ne peut aboutir durablement sans la prise en compte des initiatives des locuteurs des langues en question. Le fait est qu'une langue n'est vivante que parce que les populations l'utilisent. 


  Da ñoo bòk làkk wi, moo tax kènn ci ñun  waru cee wax  lu mu tegul ci yóon.


Les institutions ont toujours vécu avec le fantasme de contrôler l'évolution de la langue à travers des politiques linguistiques. Mais les langues bien souvent n'en font qu'à leur tête. Elles peuvent pousser comme des herbes folles, nourries à la bouche de ceux celles qui la parlent. Sachant que c'est le peuple qui a toujours le dernier mot, la parade est tout simplement de lui mettre à la bouche les mots que le peuple a à dire. Une analogie peut être faite avec l'image d'un parent qui s'évertue à guider la trajectoire de son enfant,  il existe une part d'identité avec laquelle l'enfant naît et face à laquelle le parent ne peut pas grand-chose.  

Il faudra le faire avec tact, compréhension et humulité.


Exploiter l’engouement local  


Pour impliquer les populations, il est essentiel de tenir compte du foisonnement de réflexions populaire  notamment sur les réseaux sociaux, où de nombreux groupes se forment et des faits de langues circulent largement. Il aurait été utile de mettre en place un système pour recueillir l'essence de ces discussions, et susciter des réflexions qui permettent un développement  plus constructif des échanges.

Tous ceux qui ont le wolof comme langue maternelle ont le droit d'en parler, car c'est notre langue à tous, apprise dès le plus jeune âge. Cependant, étant donné que cette langue nous appartient à tous, nous n'avons le devoir d'avancer que ce dont nous sommes certains. Il est donc primordial que ceux qui ont une certaine expérience du wolof s'expriment à ce sujet. Il est également très important, pour ceux qui se positionnent comme des spécialistes de la langue, de prendre des précautions : il est délicat de s'approprier un élément qui appartient à toute une communauté et de lui adjuger notre compréhension locale, ou bien de créer de son propre crue un néologisme que nous présentons comme un usage accepté et authentique qui engage toute une communauté.


Une rigueur méthodologique


Lorsque l'on affirme qu'un terme se dit d'une certaine manière dans une région, il est crucial de fournir des documents (audio ou écrits) authentiques pour étayer cette affirmation. Cela permet de valider les usages et d'accéder à une compréhension plus précise de la langue. Dans le cas où nous sommes à l'origine d'un nouveau terme, nous devons présenter le terme en question comme tel. Il vivra ou mourra. Il  fera partie de la mémoire collective,  si le nombre de locuteurs qui y ont recours, les lieux où le terme s'entend et la durée pendant laquelle il y est recours restent constants ou en développement continu. 


La force de l’écrit 


Il est crucial de mettre en exergue ce raisonnement en question en encourageant ceux qui parlent des langues locales à commencer à écrire. L'écriture permet à l'auteur de prendre du recul et de structurer sa réflexion. Elle facilite également pour le public l'accès à une source claire, servant de base à une critique éclairée et à un débat constructif.


Internet est un vaste réservoir d'échanges, et il serait intéressant de créer un organisme qui se nourrit de ces discussions et incite les gens à écrire afin de renforcer leur méthodologie de détermination des faits de langues. Il semblerait que Akademie wolof soit sur cette lancée. En linguistique, la méthodologie est essentielle : le résultat n'a de valeur que s'il repose sur une approche solide.


Les langues locales et l'IA: un potentiel exponentiel


Dans ce contexte de renouveau, nous notons la naissance du logiciel Awa de l'entreprise Andakia, fondée par Alioune Badara Mbengue. Le terme "Awa" est évocateur, car il désigne la première femme de l'humanité dans la tradition musulmane. Ce terme est aussi un palindrome, qui se lit de gauche à droite et dans le sens contraire, symbolisant l'idée d'infini, matérialisée par un logo évoquant une onde qui rappelle le signe mathématique de l'infini.


Quant au nom de la compagnie Andakia, il fait bien sûr référence au fait d'avancer avec l'IA (And ak IA). On y trouve l'idée d'accompagner les populations (and ak yow), pour cheminer avec toi. Le parallèle entre "I.A.", "YOW" (toi en wolof) et "Ya'" (toi en anglais, registre populaire) est également intéressant. Enfin, le terme "andar" renvoie à l'idée de marcher ou de se déplacer en espagnol et en portugais. Voici tout le potentiel que nous pouvons soulever du point de vue sémiotique, illustrant  la richesse de la vision d'un tel projet. Ce projet est donc futuriste à la pointe du numérique, mais aussi assez traditionnel et inné. Le terme and référerait aussi en wolof, selon  Sulaymaan Niañ, à l'idée du placenta qui accompagne un enfant jusqu'à  sa naissance.

Pour revenir à Awa et Andakia, il faut noter qu'un problème majeur.  Un potentiel aussi puissant ne doit pas peut avoir des répercussions à long termes catastrophiques sans une certaine  orientation sociodiscursive.


En fait, il apparaît au final que cet outil promeut principalement le wolof urbain (fran-wolof). Il est évident que le logiciel s'appuie sur les données disponibles sur Internet. Le premier constat est que les données sont limitées. Selon AI for Development, cité par le CIO d'Andakia, l'ensemble des données des langues africaines, toutes langues africaines confondues, ne représente que 0,02 % des données disponibles sur Internet. Le wolof est donc une langue à faible ressource. Or, l'IA s'appuie sur des modèles de données disponibles en ligne, et comme le wolof urbain constitue sa principale source, le résultat ne prévenir que de ces données. Cela souligne l'importance de diversifier les sources. Il aurait été intéressant qu'Andakia adopte une démarche impliquant des chercheurs pour donner accès à une variété de registres, y compris au-delà de celui du wolof urbain d'autres registres(formel, littéraire ...) que l'utilisateur pourrait explorer sur demande.

L'IA est un outil qu'il nous appartient d'utiliser judicieusement. L'engagement affiché par les auteurs de Andakia, notamment avec les projets du nouveau gouvernement du Sénégal, traduit une volonté de progrès. Recourir à la contribution des défenseurs du wolof, par exemple, dans la diversité des registres de la langue, aide à la restauration du patrimoine culturel africain disloqué par la colonisation. ( à suivre )

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